Vers Kodiak

Vers Kodiak, le 27 juin 2013

Il y a au moins trois choses que les hauturiers (lire: les marins de haute mer) ont en commun : ils se plaignent en général de ne pas détenir de photo de leur bateau sous voile; leur langage est très spécifique et ancestralement imagé -un chat reste un chat- ; ils forcent rarement sur leur navire de façon à préserver le matériel quitte à faire durer le voyage.
Côté langage, il est en effet difficile de ne pas utiliser les mots " bitte" (potelet d'amarrage), "tape cul" pour une voile ou autre groupe de mots venant de la vieille Marine  à voile, tellement il est courant et d'ailleurs dans le dictionnaire. Pour autant, nous dirons qu'un bateau est anti ou pro levrette s'il aime le vent arrière. Si, à terre, l'expression "PD comme un phoque " est relativement connue, sait-on qu'il est avancé qu'une de ses origines serait peut-être "PD comme un foc", le foc étant une petite voile d'avant qu' il faut brasser par l'arrière si l'on ne veut pas se prendre une claque... Bref! Ce matin,, nous filons vite et les deux anciens à bord ont tenu à laisser le temps aux deux plus jeunes aux estomacs parfois encore un peu fragiles de  prendre un bon petit déjeuner avant de partir: les 15 noeuds de vents annoncés nous semblent sous -estimés... En moins d'une heure trente, nous remonterons à plus de 9 noeuds Patago que nous passerons sous le vent, se prenant mutuellement des tas de photos sous 25 noeuds de zef. Les voiles ne sont malheureusement pas déployées  complètement mais nous aurons beaucoup de clichés à échanger à Kodiak. Le travers à 70 degrés, Gwen Ha Du adore mais il va nous falloir taper de la levrette durant au moins une heure, le temps de franchir la passe d'Unalga sêparant l'île du même nom et celle d'Unalaska que nous venons de quitter. Alain préfèrera un autre passage craignant d'être déventé à la sortie de la nôtre. Mon avis étant différent, nous virons donc en abattant sur tribord. En bonne levrette, notre allure se calme à 6.5 noeuds, tout comme la mer et nous appréçions ce calme. Il y a du courant, je le sais pour avoir lu le petit C sur la carte magnétique mais sans toutefois vérifier sa force ou calculer l'heure marée. Quel mauvais marin je suis! Mais partisan de le fameuse doctrine: bah! On y va et on verra bien ... Nous nous engageons dans cette immense passe avec dans l'idée que si le courant est contre, nous essaierons un autre passage. En fait, tout se passe plutôt bien, même très bien! Le calme a réveillé Mireille qui rejoint Jérémy et moi au pilotage, bien engoncée dans un sac de couchage qui possède des trous aux pieds et bras. Tous les trois nous admirons ces magnifiques paysages de part de d'autre du bateau qui ma foi, avance plutôt bien avec sa levrette à 15 noeuds puisque de 6.5 noeuds, nous sommes passés à 8, puis 9, voire 10.... depuis quelques minutes. Le courant est donc dans le bon sens quand il me prend l'idée d'appuyer sur le petit C de mon IPAD de navigation et je découvre que le logiciel de navigation "Navionics" possède une fonction superbe, celle de présenter des courbes précises des forces de courant sur trois jours et cela en temps réel! Et à ma grande stupeur, je lis immédiatement que sur ladite courbe, à l'emplacement "maintenant", le courant est bien sûr dans notre sens - on l'avait bien remarqué pour atteindre cette vitesse- mais à une force de 10.85 noeuds!!! De 10 noeuds de vitesse réelle du bateau par rapport à la planète, nous passons à 11, 12, 13...Chaque noeud gagné est l'occasion pour le trio enchanté que nous sommes de prendre une photo de notre écran: le vent est à 12 noeuds, la mer est plate, les paysages splendides, pas trop de brume...que demander de mieux! Et pourtant, mon sens marin sent bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas bien rond dans cette affaire, en tous cas suffisamment pour que je fasse part de mes craintes à mes deux compagnons, Ambre étant restée couchée: la mer reprend souvent ce qu'elle donne mais j'ai beaucoup de mal à imaginer qu' un tel volume d'eau à un tel débit- entre 40 et 50 mètres de profondeur sur environ 2.5 kms de large- puisse comme cela,  de façon régulière augmenter de force, en diminuer pour changer toutes les 6 heures de sens sans que ces masses d'eau ne provoquent quelques remous et c'est au bout d'une bonne demie heure de passe que j'annonce à mes camarades: " à mon avis, çà, on va le payer..." il ne nous faudra pas bien longtemps pour voir que cette prédiction allait se réaliser.
Un petit trait blanc nous barre le passage assez loin devant, petit trait blanc qui grossit assez rapidement étant donnée notre vitesse. Le temps d'annoncer:"cramponnez vous, ça va donner!"  et c'est à 13.8 noeuds de vitesse que Gwen Ha Du va faire son premier saut de vague  de la journée mais quelle vague! Tout en haut de celle- ci, il nous est donné d'apercevoir le temps d'un instant que nous en aurons, en fait,  beaucoup d'autres ! Cet instant fut effectivement relativement bref car nous observerons la troisième de façon peu à notre avantage car vue par en dessous! Et ce sont quelques tonnes d'une eau bien fraîche qui vont venir nous écraser, telle un surfeur sous sa vague, sauf que nous, nous ne sommes pas en maillot de bain et nous n'allons pas avoir le temps d'apprécier la qualité de notre glisse! Ladite vague qui recouvre maintenant le bateau ne s'arrêtera pas devant notre pare brise réputé incassable puisqu'elle en fera sauter un morceau, traversera complètement notre habitacle, arrachera nos bâches arrières qui jamais n'auraient pu penser qu'elles auraient, un jour, le difficile rôle d'empêcher la mer de sortir et continuera sa route sans jamais avoir eu l'occasion de déranger... En terme de dérangement, le morceau de pare brise arraché n' a blessé personne et c'est l'essentiel mais ce sont trois bon bougres complètement trempés en plein Alaska qui se remettent de leur surprise (imaginez le poids du sac de couchage sur les épaules de ma jeune mariée de 30 ans ...( de mariage) et qui vont maintenant affronter durant une quinzaine de minutes des dizaines d'autres missiles qui sautent dans tous les sens de façon très serrée et désordonnée! Puis la mer et le vent reprendront leur rythme habituel comme si rien ne s'était passé. Il est l'heure pour nous d'établir un petit bilan: personne n'est blessé et c'est l'essentiel! L'électronique n' a pas souffert si ce n'est l'appareil photo qui aura une belle mort après avoir pris un dernier cliché de notre vitesse...et notre fidèle réveil mort de n'avoir pas su se planquer à temps. Par chance, nos deux morceaux de pare brise sont restés dans le carré arrière et il ne sera pas bien difficile de les refixer plus tard, au calme...Ce sera fait sommairement en fin de journée pour le plus grand, le petit latéral demandant plus de travail.Vite! Il faut se changer de vêtements. : çà pèle!!!
Durant deux jours, le vent sera plutôt sympa avec nous et nous seront le plus souvent aux environs de 8.5 noeuds comme si la mer voulait se racheter ou au grand calme plat et les volvos feront leur travail de volvo...Encore un incident toutefois: cela fait 5 heures que nous sommes au sud de l'île de Kodiak et nous devrions arriver demain matin de bonne heure: nous longeons les montagnes bordées par les plages  où nous cherchons en vain du regard la vue d'un ours brun comme il est parait-il possible d'en apercevoir. Des orques nous ont croisés, des rorquals et baleines aussi et c'est un tel plaisir pour les yeux. Notre allure est sympa mais nous constatons qu' à chaque traversée de vallée, nous recevons une claque de vent, les effets venturi bien connus laissant entrevoir que, de l'autre côté de la montagne, cela doit souffler plutôt fort... à tel point que le relief baissant de hauteur, ce sont trente noeuds de vent que nous avons maintenant de côté mais une mer plate du fait de la protection montagneuse! Je décide de reprendre le ris défait la veille en raison du petit temps et, comme nous y sommes entraînés, Mireille s'installe à la barre et se place face au vent pendant que Jérémy et moi affrontons les éléments avec ou sans harnais de sécurité suivant le danger estimé du moment. Au préalable, nous avons un peu plus enroulé le génois  de façon à ce que ses écoutes de viennent pas nous blesser lorsque la voile "fasseyera" (claquera face au vent). En fait, au premier claquage, l'écoute tribord viendra frapper notre pare brise remis -de façon sommaire - il y a peu de ses émotions qui, cette fois-ci préfèrera se suicider par noyade plutôt que de souffrir à nouveau...La petite pluie qui suivra nous le fera bien regretter ..
Ce matin, à 6 heures, la brume est bien épaisse...mon quart se termine devant l'entrée du port de kodiak que l'on dit magnifique. Sans doute...nous, on n' voit pas à 50 mètres et le radar est un vrai copain.  Nous venons de franchir une nouvelle étape de 580 milles celle ci et sommes entrés maintenant plus profondément en Alaska en montant encore et toujours vers le nord et l'est. Pressenti tranquille, ce tronçon a plutôt été riche en rebondissements. Un élément festif toutefois en plus de la grande joie d'être arrivés: nous avons  fêté les 2090 nautiques de Jérémy sans vomir! Mais çà, c'était il y a deux jours! Depuis, les compteurs sont remis à zéro...

Commentaires

  • Aline GUEMAS

    1 Aline GUEMAS Le 08/07/2013

    Et ben Jéremy.....T'as perdu ton pari de tenir jusqu'au bout....??????Jéjé t'as plus qu'à réparer maintenant. Mais faites attention tout de même vous n'êtes pas encore arrivés même si vous vous en rapprochez tous les jours un peu plus. Bon courage

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