De Amami vers La Poisse

De Amami vers La Poisse

Le 02/04/2013

Avant d'aborder Nagasaki que nous devrions rejoindre en 48 heures à partir d'Amami, nous avons longuement hésité car une escale à Yakushima nous intéressait et partageait la route en deux. Mais étant donné que nous le l'avions pas programmé aux autorités japonaises, tant pis, nous irons directement vers cette mégapole. Dans cette région, il convient d'être particulièrement attentif à la météo et à ses brusques soubresauts. Il y a justement une fenêtre de 2 jours qui s'offre à nous avant un gros coup de vent annoncé en fin du troisième. Comme prévu, nous naviguons cette première journée à bonne allure mais uniquement aux moteurs, le vent étant inexistant. Une baleine jouera quelques minutes loin de notre proue à se taper la queue sur l'eau et nous ne pêcherons rien mais le sourire est sur nos bouches. La vie est belle ! En fin de journée, et appliquant le vieil adage du marin « quand il fait beau, prépare toi à la tempête.. », je décide de compléter le plein de mon réservoir principal en versant 2 jerrycans de gas oil pompé la veille dans mon réservoir supplémentaire. Les trente prochaines minutes qui vont suivre seront nos dernières avant le début de LA POISSE ! Le moteur de gauche se met à hoqueter, puis le droite, puis le premier s'arrête, puis le second de même.... J'ai de suite compris que l'arrêt des deux moteurs en même temps ne pouvait être une coïncidence : De l'eau de mer ou de pluie avait dû rentrer dans mon réservoir n°2 et je venais de transmettre à tout mon gas oil un poison qu'il serait bien difficile de retirer... Il n'y a pas de vent et nous n'avons pas de moteur ; la mer est hyper plate, un vrai lac. Seuls les courants à ce moment précis règnent en maître dans cette partie du monde et vont entraîner notre Gwen Ha Du là où ils l'auront décidé. Bien évidemment, nous ne restons pas inactifs et les quelques heures qui vont suivre seront destinées à tester mes insuffisantes qualités de mécanicien qui pourtant, jusque là, avaient toujours suffit : purge des moteurs et des pré-filtres ; nettoyages des injecteurs ; pompage et on recommence tout quand cela ne démarre toujours pas et que aucun succès n'apparaît sur l'un ou l'autre des moteurs tandis que les batteries....commencent à présenter quelques signes de faiblesse dus au trop nombreux essais de démarrage. Toute la nuit, nous resterons sans aucun signe du vent, remerciant d'ailleurs tous les saints de la mer d'avoir eu la bonne idée de commander à notre courant de 2 nœuds d'éviter l'île trop proche à notre goût. Toute cette nuit, nous garderons un œil sur nos petits penons de tissus qui malheureusement, resterons impassiblement en berne. C'est au petit jour que le père Eole a commencé à frimer : nous sommes passés du zéro pointé au 25 nœuds en moins de 10 minutes et de la totale léthargie à un pilotage aussi sportif que peut offrir un catamaran...

A plus de 10 nœuds au près en quasi permanence, nous allons très vite mais, comme Dame LA POISSE reste omni-présente, nous n'allons malheureusement pas dans la bonne direction, le vent venant exactement de Nagasaki. Un catamaran ne remonte pas bien au près, c'est entendu mais quand en plus, il se trouve de façon incroyable à tout moment devant vous une île qu'il vous est impossible de laisser sous le vent vous forçant en permanence à abattre et abattre encore, vous finissez par presque faire chemin arrière. Puis de temps à autres, le vent cesse et ne devient plus qu'une infime brise durant une petite heure pour reprendre de plus belle dans un autre sens ; de façon immuable, vous avez toujours devant vous une île de quelques kilomètres de large qui vous bloque le passage et que vous devez contourner, tout çà avec la peur au ventre de se retrouver au pied d'une falaise et ses rochers, sans vent, sans moteur et avec un courant qui décidera ou non s'il veut vous aider à gratter vos coques sur un caillou ou deux.

Plus d'une fois, nous avons tremblé et une nouvelle nuit débute avec son calme plat . Dix fois, nous avons changé de destination, l'essentiel étant devenu pour nous de parvenir à nous approcher le plus près possible d'une île habitée, y jeter nos ancres sur une zone peu profonde (ancres qu'il faudra remonter à la main car le guindeau fonctionne seulement avec les moteurs...) et attendre qu'un bon pêcheur local accepte de nous remorquer jusqu'au port le plus proche. Il était devenu hors de question pour nous de nous rendre à Nagasaki avec tout d'abord la mauvaise météo annoncée le troisième jour, puis la quantité invraisemblable de courants dans tous les sens répertoriés dans la mer jaune. Nous préférerions encore les nôtres.

De cette nouvelle nuit, il n'y eut quasiment pas de vent, juste de rares petites brises mais qui permirent, malgré tout, de nous repositionner parfois ; je pris la décision en prenant mon quart à minuit de me laisser dériver (de toutes façon, mon choix était limité) vers un petit port au sud est de ...Yakushima, l'île que nous regrettions initialement de ne pas aborder, et de parvenir à atteindre en bord de falaise une première ligne de sonde des 20 mètres pour m'y ancrer. Le risque est énorme car cette zone des 20 mètres est étroite et si les mêmes saints de la mers refusent que nous la touchions, ce sera directement la falaise. Rien n'est joué et le danger est absolument réel pour le bateau car Yakushima est une île ronde d'environ 20 kms de diamètre cernée de falaises vertigineuses qui bordent des montagnes frôlant les 2000 mètres de haut ; les grands dénivelés sous marins entraînent de grands ressacs contre les rochers, les masses d'eau venant de 2000 mètres de fond directement à buter contre de la roche. Les falaises déventent à tous moments nos voiles et les effets venturi aidant sont imprévisibles.

Durant 2 heures, je tente une approche de cette côte sud est pour enfin juger le danger trop grand et me glisser, toujours poussé par les courants et un trop faible zéphir, vers la côte sud ouest... Encore deux heures à flirter avec la côte poussé par différents courants allant jusqu'à 2,5 nœuds et nous nous dirigeons doucement mais sûrement vers le petit port de Kurio dont on peut deviner en pleine nuit l'entrée grâce à un agressif feu vert. Pour réussir à l'atteindre, il faut absolument parvenir à éviter, 300 mètres avant sur la droite, la côte bien évidemment mais aussi un tas de récifs sur la gauche. L'endroit est large mais je ne manœuvre pas réellement car le vent est toujours beaucoup trop faible et tourne dans toutes les directions. Je suis enfin parvenu sur des fonds de 20 mètres et je pourrai lâcher là mes ancres et attendre mais qui sait ? si je continue de cette façon, je pourrais peut-être arriver à entrer dans le port avec beaucoup de pot. Pour le moment, tout juste parviens-je à placer le bateau, proue vers l'avant... 4h30 du mat, Branle bas de l'équipage ! Ambre a juste le temps de me voir jeter mes deux ancres à l'eau et bloquer la chaîne sans gants après une quinzaine de mètres. Le bateau vient de s'immobiliser à moins de 3 mètres des récifs menaçants. Un petit coup de vent m'a rabattu sèchement vers la gauche d'une trentaine de mètres. Lors de la cavitation, elle aperçoit 2,50 m au sondeur sous le bateau, puis, heureusement 4 mètres, le courant s'évertuant à nous pousser. Nous sommes à moins de 500 mètres de l'entrée du port et nous venons de réussir sans casse, mais d'un poil, à nous stopper près d'un port. Il nous faut maintenant attendre le jour et trouver un pêcheur matinal et sympa... Les filles retournent se coucher pendant que je prépare le bateau à être remorqué. 5H30. Le jour commence à poindre et je suis, ma bouteille de plongée équipée, paré à me jeter à l'eau afin d'aller accrocher le bateau à des fonds plus importants car je crains la reverse du courant et de toucher le caillou emjambé tout à l'heure à 2,5m mais qui doit bien caler guère plus que mon tirant d'eau à 1,65 m à l'heure qu'il est..., la marée descendante offrant un marnage trop important.

L'eau est plutôt fraîche en cette saison mais quand faut y aller, faut y aller ! Soudain, un bruit de moteur! Un bateau sort du port et se dirige vers nous ! Et c'est un peu piteusement que, agitant mes grands bras dans tous le sens, je vois arriver un brave pêcheur qui pilote son bateau d'une dizaine de mètres à la télécommande filaire comme cela est courant ici. Il n'ose s'approcher tout près, puis finalement y parvient pour recevoir mon amarre lancée de toutes les forces de l'espoir. Marche arrière : il nous écarte de la zone dangereuse pendant que je remonte à la main mes 15 mètres de chaîne et les deux ancres sans trop de difficultés lorsque l'on ne compte pas ses efforts. Une fois tout danger écarté, il passe un appel téléphonique et en moins de 10 minutes, sort du port un bateau plus gros armé de 5 hommes qui s'empresse de prendre le relais et nous tracte enfin dans un port rarement aussi souhaité. Le propriétaire-capitaine de ce bateau, la petite soixantaine, est ce que l'on appelle un patron et ne touche à aucun cordage. Il est chef,il commande et puis c'est tout !

Derrière deux premières immenses digues, nous le suivons à couple dans des méandres de parois bétonnées pour arriver dans ce formidable petit port de Kurio, un miracle de la construction humaine, un exemple pour tous les ports du monde. A la vue de ces coupe-vents métalliques, de ces digues et pontons, on imagine bien que l'homme a ici l'expérience de faire face aux éléments. Se protéger plus que cela du vent et de la houle demeure strictement impossible. Amarrés à une superbe place, j'explique à quelques gars du coin, après avoir chaleureusement remercié l'équipage, que de l'eau est entrée dans mon réservoir de gas oil et que j'ai besoin d'un mécanicien. Ils m'en promettent un pour dix heures du mat. LA POISSE est terminée !

PS : pour info, si cela vous arrive de tomber en panne et qu'un bateau japonais passe par là, prenez un grand coup votre respiration et balancez d'une traite : « Boto ga koskô shite shimaimashita » (mon bateau est tombé en panne », puis « Boto wo hitte kudasai » (pouvez-vous tirer mon bateau s'il vous plait ? ) suivi de « Shùrikô wa doko desuka » (où est le mécanicien ? » et vous terminez par :«Mizu wa gasorin to enjin no naka ni arimasu  » (il y a de l'eau dans l'essence et le moteur) . Vous pouvez respirer. Maintenant, à vous de comprendre sa réponse et là, bon courage !



Commentaires

  • Marc Henrion

    1 Marc Henrion Le 09/04/2013

    Imaginons un instant qu'il n'y ait pas eu d'eau dans le gasoil, vous seriez arrivés à Nagasaki comme si vous aviez pris le train ou l'avion. C'est bien ce genre d'avarie qui fait le charme du voyage en bateau. Profitez-en bien.
  • Jean Luc

    2 Jean Luc Le 07/04/2013

    Pinaise ça doit tirer sur le marin ce genre d aventure ! La nuit au port a dut être bonne !
    L eau dans le gazole ...pas raisonnable ! Bonjour à l équipage j luc et myr
  • aline GUEMAS

    3 aline GUEMAS Le 06/04/2013

    Quelle aventure!!!!!! Jéjé, tu sais bien que tes moteurs sont comme toi....Ils n'aiment pas l'eau!!!!.....marc m'avait tenue au courant jeudi soir de ton histoire. J'étais donc rassurée. Ils sont trop sympas ces nippons!

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